Battant légèrement ses ailes arquées en mouvements amples et réguliers, une magnifique sterne arctique au plumage blanc aperçut de loin une vaste étendue où convergeaient des millions de paillettes multicolores. Curieuse, elle dévia sa course et décida d’inspecter le gyre de l’Atlantique nord d’un coup d’aile rapide. Selon sa perception biaisée, les rayons du soleil, très haut ce jour-là, se reflétaient de manière surprenante sur la soupe de plastique. Les lueurs étranges à la surface perturbèrent l’oiseau lorsqu’il plongea à pic, croyant y reconnaître une source de nourriture potentielle. Son corps pénétra un instant dans l’amas de polyéthylène, elle en ressortit en s’aidant de ses pattes palmées avec un bout de gobelet coincé dans le gosier et des micro-restes de la tige jetée dans la vallée de la Clarée s’immiscèrent dans son corps. Gênée, déboussolée, le tube digestif obstrué et à jamais dans l’impossibilité de s’alimenter, elle se dépêcha de s’éloigner à tire-d’aile, loin, le plus loin possible du danger. Tordue de douleurs, moribonde, elle poursuivit en direction du sud.
Ainsi, bien des années plus tard, les débris du ballon rouge quittèrent la zone où s’agglomérait le plastique entre l’Europe et l’Amérique du Nord et se dirigèrent vers les régions méridionales de l’océan Atlantique. Une partie fut évacuée dans la fiente de la sterne, puis mangée par une sardine dont le banc fut capturé dans les filets d’un chalutier français. Ayant acheté le poisson à une vente à la criée sur le port de Sète, un couple de touristes finlandais le consomma grillé en apéritif, avec un verre de vin blanc frais. Bien qu’il ait pu se soustraire aux regards, le plastique n’avait nullement disparu, il s’était simplement transformé et, de manière insidieuse, ses composants chimiques demeuraient actifs. Grâce à l’alimentation et au corps des jeunes gens qui se prélassaient sur les transats d’une terrasse du front de mer, une partie du plastique jeté dans les Alpes réussit son retour en Europe.
Quant à la sterne arctique, affamée et de plus en plus affaiblie, elle passa péniblement le redoutable pot au noir sous un ciel sombre et une pluie battante, à l’endroit de convergence intertropicale entre vent du sud et vent du nord où se déclencha un orage. Là où, de tous temps, nombre de bateaux stagnaient sous une chaleur étouffante ou sous de fortes intempéries. Dans le brouillard, le tonnerre surprit l’oiseau mourant, puis le déferlement d’éclairs et de rafales d’un cyclone en formation l’entraîna vers le sud-ouest. Il succomba dans l’océan non loin des côtes brésiliennes. Au terme de la lente décomposition du volatile, les micro-plastiques qui avaient eu raison de lui se libérèrent et les courants se chargèrent de les emporter vers la pointe sud du continent américain.