Après avoir parcouru le dernier tronçon de son lit, une centaine de kilomètres depuis sa confluence avec la Durance, l’épaisse et large langue grise du Rhône plongea dans le bleu de la mer. Le polyéthylène qu’il emportait avec lui fut expulsé dans les eaux déjà polluées de la Méditerranée, en compagnie d’un ensemble de déchets ménagers, s’ajoutant à l’équivalent d’un camion-poubelle de matières plastiques déversé chaque seconde dans les océans de la planète par les diverses activités humaines.

Immergé dans le bouillon de détritus en tous genres et soumis à la salinité et à l’agressivité des ultraviolets, le processus de fragmentation de la matière souple s’accélérait. Les restes du ballon se fragmentaient tant qu’ils se dissocièrent de la tige encore rigide. Un peu du film léger dériva vers l’est, entre l’Afrique du Nord et le Sud de l’Europe, s’additionnant à l’immense dépotoir qu’était devenue la “Mare nostrum” si chère aux civilisations antiques, et livrant au monde marin ainsi qu’aux littoraux où s’agglutinaient les touristes les composants chimiques des additifs qui lui avaient donné sa couleur rouge d’origine. Le nœud de plastique effectué jadis par une bénévole de l’association Planète Bleue flottait, lui, vers les galets de Nice et les plages si prisées de la Côte d’Azur.

Quant à la tige, elle ramollit sous l’effet des éléments naturels puis se colla à la coque d’une embarcation de pêcheur qui traversait le détroit de Gibraltar, et vint s’agréger aux cinq milliards de tonnes de résidus plastique dérivant partout sur les océans. Remorqué par le bateau, ce qui avait soutenu un ballon de baudruche continuait à distiller les produits chimiques qui le constituaient. Les additifs qui entraient dans sa fabrication avaient déjà empoisonné la Clarée, la Durance, le Rhône et la Méditerranée, ils se mélangèrent à ceux contenus dans la composition de la peinture de la coque qui s’écaillait, engendrant un cocktail inédit de dérivés de produits industriels. Tout cela monta en direction du pôle jusqu’à atteindre le gyre océanique de l’Atlantique nord.

Un élément supplémentaire arrivait au sein de la soupe de plastiques tourbillonnant dans le sens des aiguilles d’une montre dans la colonne d’eau, du nord-est vers le sud-ouest. Sous l’effet de mouvements marins ancestraux orchestrés par le vent régulier bien connus des navigateurs, l’alizé qui prenait naissance à l’équateur favorisait le phénomène d’accumulation et la circulation résiduelle incessante. Ainsi s’était formé un vaste espace équivalant à six fois la superficie de la France. À la surface, en son centre, flottaient des bouteilles de soda, des paillettes multicolores, beaucoup de la taille d’un confetti et, moins nombreux, des morceaux de plusieurs centimètres, le tout sur une épaisseur d’environ trente mètres sous la surface. Mais, surtout, sur des centaines de mètres vers le fond de l’océan, la présence de micro-plastiques difficilement repérables et quantifiables. Or, une fois lancés dans l’eau, les restes du ballon rouge – comme tous les autres objets – accentuaient leur processus de dégradation sous l’effet du vent, des rayonnements ultraviolets, de la salinité, de la force des courants et de la puissance des vagues. Lorsqu’ils furent suffisamment fragmentés, le danger devint invisible à l’œil nu des hommes, des oiseaux et des poissons…

*