Depuis l’aube des temps, loin en dessous du ciel balayé par le souffle tiède de la brise au crépuscule, là-bas sous le manteau bleu des flots, s’entendait le chœur insolite des peuples microscopiques. Alors que le calme était trompeur en surface, les profondeurs, elles, s’animaient d’incessantes turbulences. Chaque nuit se jouait dans les ténèbres la symphonie nocturne des étreintes compulsives et câlines menées par les habitants des mers et des océans. À croire qu’en plus d’avoir participé aux balbutiements de la vie, ce serait à des êtres sous-marins infiniment petits que la Terre devrait le génie d’avoir imaginé et créé la nature de cet élan qui guidait les amoureux vers les sentiments les plus intenses, à l’origine des bienfaits les plus délicieux. Ce monde sauvage et méconnu des fonds marins obéissait à des lois difficilement accessibles aux habitants de la terre ferme. Les règles troubles de l’univers liquide qui guidaient l’existence des espèces aquatiques, spécialistes de la survie sur la planète depuis des temps immémoriaux, échappaient même en partie à l’expertise des scientifiques les plus expérimentés. Qu’ils soient marins, artistes ou techniciens chevronnés, les logiques chaotiques des abysses indomptés surprenaient toujours les humains. Même s’il ne s’était encore trouvé personne pour consacrer ou vanter le lien puissant qui pouvait naître et se développer entre deux organismes vivant en suspension dans les eaux, ces unions célébrées quotidiennement et dans l’obscurité des océans depuis l’origine de la vie ressemblaient par de nombreux aspects à de l’amour. Comme si bien avant les humains, leurs chanteurs, leurs philosophes et leurs poètes, les animaux et les plantes primordiales avaient inventé au cœur des océans la magie d’être deux, et de s’aimer. Mieux encore, ces êtres microscopiques, sans doute grâce à leur incroyable expérience accumulée durant des centaines de millions d’années, montraient parfois des capacités à s’unir qui dépassaient celles des mammifères. Là où des individus d’une espèce prétendument supérieure comme Homo sapiens pouvaient déployer une incroyable agressivité jusqu’au meurtre envers leurs congénères au motif d’informations visuelles aussi insignifiantes que la couleur de leur épiderme, Héliosphéra avait pour ambition de transcender les frontières qui séparaient les règnes animal et végétal.
Ainsi, aux premiers instants de son existence, l’instinct de la délicate Héliosphéra lui dictait de se mettre sans plus attendre à la recherche d’une zooxanthelle, celle, l’unique parmi la multitude d’algues unicellulaires sphériques, brunes, jaunes ou vertes, qu’elle accueillerait en son sein. Le besoin de se trouver, de se rejoindre, de s’unir et d’exister enfin pleinement, ensemble, habitait déjà la nouvelle-née. Inspirée, elle allait se mettre en route pour sceller un lien puissant : l’union sensible et charnelle de deux êtres pourtant dépourvus de cerveau. Héliosphéra se préparait à voguer vers les couches superficielles de l’immensité liquide, à risquer une itinérance périlleuse, en mettant le cap sur le milieu naturel de sa promise, là où elle allait se fondre à son tour dans une symbiose salvatrice et durable. Mais les heures lui étaient comptées. Sa durée de vie ne lui laissait que très peu de temps pour parfaire sa symbiose.
Un premier impératif s’imposait à elle : la nécessité de s’alimenter. Elle ressentit tout de suite la morsure de la faim comme une urgence, une injonction à emmagasiner suffisamment d’énergie pour espérer survivre à la pénible remontée de la colonne d’eau qui l’amènerait à la partie de l’océan où se concentraient les populations de plancton végétal. Vint ensuite l’attente. Contrainte par sa nature à rester immobile dans l’obscurité des eaux qui sortaient lentement de leur léthargie avec la fin de la canicule, Héliosphéra demeura plusieurs heures à flotter sur place. De l’Antarctique, aux confins de la planète, se levèrent des vents qui provoquèrent des bouleversements d’envergure dans les entrailles du Pacifique. Une onde sous-marine, d’abord discrète, s’intensifia, puis amorça une ascension vers les endroits les plus exposés au soleil. L’apathie qui avait longtemps paralysé les mouvements indispensables à la vie dans l’océan disparaissait à la faveur d’un courant froid et vigoureux venu des profondeurs. Une vaste lame de fond s’était formée, elle remontait, suscitant d’abord un bouillonnement, puis l’annonce du changement tant attendu : une excellente nouvelle pour Héliosphéra et pour l’ensemble des populations aquatiques en péril.