Vers la fin mars, les balbutiements du printemps apportèrent les jonquilles, les perce-neige et, avec eux, les rayons du soleil qui libérèrent de la glace la surface de la Clarée. L’arrivée massive des eaux apportées par la fonte des neiges éleva suffisamment le niveau du ruisseau pour décrocher le ballon de son enclos de pierre. Si le film bactérien le recouvrant masquait en partie sa couleur rouge, l’inscription “Recyclez-moi” avait, elle, complètement disparu. L’encre à la composition dissimulée par les fabricants, puisqu’il fallait absolument garder le secret industriel et garantir le fonctionnement d’une saine concurrence économique, s’était diluée sous l’effet conjugué du gel et des microbes. La véritable identité des additifs, même les plus nocifs, connus des seuls plasturgistes qui les avaient manipulés, resterait un mystère. Or, le subtil dosage d’éléments chimiques contenus dans les matières plastiques commença à se propager dans l’eau vers des destinations inconnues, décimant sur son passage de nombreux têtards. La toxicité du ballon qui avait été jeté des mois plus tôt dans le ruisseau demeurerait une énigme, tout autant que ses effets possibles sur la faune, sur la flore et, au final, sur le corps humain.
Une truite arc-en-ciel, espérant sans doute se nourrir de mousse, s’étouffa et trépassa en ingurgitant un large bout de plastique. Les restes du ballon continuèrent leur chemin au rythme soutenu du courant à travers la plaine ensoleillée du village de Névache, ils se mêlèrent au breuvage des troupeaux de bovins qui étanchaient leur soif au milieu des alpages, sous les premiers bourgeons ornant les branches des érables, des sycomores et des hêtres. Près de la ville de Briançon, les déchets de polyéthylène se jetèrent dans la Durance.
Au grand soleil de l’été, l’eau verte de la capricieuse Durance, qui avait pris sa source au sommet des Alpes, charria les lambeaux de plastique à travers les plaines vallonnées, parfois boisées, parfois pierreuses du Sud de la France. En échouant sur les rives, certains morceaux s’entremêlèrent aux tessons de bouteilles, aux bouts de tissu et aux autres détritus laissés à l’abandon par les touristes. Puis, à l’endroit recouvert d’herbes et de boue sur les contours de la zone de confluence, la majeure partie de ce qui restait du ballon rouge atteignit le Rhône. Le fleuve permit aux résidus de plastique de longer le parc naturel régional des Alpilles et de traverser celui de Camargue, déposant chaque fois une partie de ses substances nocives fabriquées à partir de gaz naturel ou de pétrole brut.